Monte-Cristo 2 L’Île par Mechner/Alberti : brûlure entre désir et vengeance

Monte-Cristo 2 L’Île par Mechner/Alberti : brûlure entre désir et vengeance

Monte-Cristo 2 L’Île est le deuxième chapitre de la BD créée par Jordan Mechner et Mario Alberti. Inspirée par le chef-d’œuvre d’Alexandre Dumas, l’histoire de Sam Castillo, injustement accusé de terrorisme, change complètement par rapport au premier tome, Le Prisonnier. Mourir tel qu’on est afin de survivre sous une autre forme ? Nous allons découvrir plus sur cet album paru le 22 mars 2023 dernier (Glénat-Comix Buro Éditions).

Monte-Cristo 2 L’Île : le crayon de la vengeance

Malgré un malheureux incipit concernant la beauté italienne… (« Je croyais que les filles les plus canon se trouvaient en Italie, mais là, c’est la Croatie qui gagne », Tom Farrell, ndlr), Monte-Cristo 2 l’Île commence déjà depuis les premières pages à faire réfléchir. Nous y trouvons un Sam Castillo complètement changé : il est Victor Sirin maintenant, un mystérieux multimilliardaire maltais qui pourtant se dit aux origines douteuses.

Monte-Cristo 2 L’Île - Victor Sirin
Photo de la BD Monte-Cristo 2 L’Île – Ph. SJDR

Il prend soin de ses roses tout en attendant le moment propice pour jouer au chat et à la souris avec ses ennemis qui ignorent sa véritable identité. Même si les traits somatiques de Victor, magistralement esquissés par le maître italien Mario Alberti, sont différents, j’ai tout de suite eu l’impression d’avoir sous les yeux l’élégance de Peter O’Toole en Le dernier empereur (Bernardo Bertolucci, 1987).

En Monte-Cristo 2 L’Île la personnalité de Victor Sirin est mise en avant de manière écrasante : face au jeune Tom, le fils du procureur général Farrell (l’un de ceux qui l’ont trahi), Victor n’est plus Sam et il se montre tel qu’un homme qui ne craint rien, libre (ou enfermé ?) dans son idéal de beauté et de liberté. Il est indéniable qu’écouter Sirin parler de sa vie libre de chaque jugement extérieur soit très charmant.

Encore plus attrayante son habitude de signer à l’aide de son fameux crayon, le seul lien avec son passé dans la prison secrète. Mais pourquoi toujours le crayon ? Est-il un symbole de création ou de vengeance ? Pourtant, un crayon est fait de graphite : elle va s’effacer, la poudre s’envole et peut-être la haine ne sera pas éternelle. Comme l’existence, d’ailleurs, et sa fugacité…

Une BD aux messages et puzzles cachés en plein style Jordan Mechner

Ce n’est pas une nouveauté ou quelque chose qu’on entend pour la première fois : nous ne pouvons pas lire un ouvrage de Jordan Mechner en tant que scénariste, sans n’y pas retracer ses messages et puzzles cachés. D’ailleurs, nous parlons du créateur de Prince of Persia et tel qu’un narrateur d’histoires il développe l’intrigue grâce aussi à un mélange pas toujours évident de souvenirs personnels, de films et d’acteurs qui font partie de sa culture cinématographique et de références à la paix.

C’est comme ça que quelques instants avant l’enlèvement stratégique de Tom Farrell, Mechner fait inclure les couleurs de l’Ukraine sous forme de deux glasses. Mais pas juste. En tournant les pages de Monte-Cristo 2 L’Île nous reconnaissons très clairement le visage de Geoffrey Rush en tant que commissaire-priseur. La référence au film The Best Offer (Giuseppe Tornatore, 2013) est bien évidente. Peut-être que la figure d’une femme qui trahi (la même du film) soit-elle le lien entre le scénario et la pellicule ? L’amour pour l’amour et l’amour pour l’art sous l’échec de la beauté et de la jeunesse d’une femme qui ne respecte pas le cœur de l’homme ?

Monte-Cristo 2 L’Île - The Best Offer
Référence, The Best Offer – source : photo de l’album SJDR

Depuis un point de vue personnel, nous prenons le recul de cette vision, voire cliché stéréotypé, de la relation homme/femme. Toutefois, par rapport au scénario de Monte-Cristo 2 L’Île, le tout marche très bien. En effet, c’est une astuce qui fait « communiquer » les deux femmes clés de l’histoire : Abby, l’ex-fiancée de Sam, désormais mariée à un député (un autre personnage sinistre responsable de l’emprisonnement de Castillo) et Danica, bien sûr, l’agent de police qui est la seule à dénicher les côtés plus obscurs de Victor et d’aller au-delà des apparences.  

Monte-Cristo 2 L’Île et Quentin Tarantino : entre particuliers qui gagnent et d’autres qui le font moins

Sans aucun doute, l’un des coups de maître du scénariste Mechner a été celui d’inclure un passage de la Bible : encore une fois c’est Victor Sirin qui parle après avoir aidé des « justes », les seuls qui, avec Abby aussi, s’étaient occupés de sa mère.

La référence à Pulp Fiction de Tarantino en Monte-Cristo 2 l’Île se montre ici presque nécessaire et révèle à nouveau quelque chose en plus à l’égard des goûts cinématographiques de l’auteur. Pas besoin de souligner l’excellent travail d’image que l’illustrateur Mario Alberti a fait en acceptant le challenge de traduire en traits et couleurs la vision de l’écrivain.

Cependant, toute la section concernant les opérations boursières qui font partie du plan stratégique de Victor d’appauvrir ses ennemis, est trop technique. Un lecteur qui ne lit pas de nouvelles de Bourse ou qui n’est pas du domaine, a vraiment du mal à comprendre. C’est le risque, d’ailleurs, de perdre le fil de l’histoire.  

Abby et Victor/Sam : la rencontre et la rancune avec la Perse en arrière-plan…

Après plusieurs années, Abby et Victor se rencontrent. Est-ce qu’Abby va reconnaître les yeux du bon Sam dans le regard plus dur et à la fois inflexible de Victor Sirin ?

Monte-Cristo 2 L’Île  - Danica et Victor
L’agent de police Danica et Victor Sirin – Photo de l’album SJDR

Et surtout, sera la jeune et méfiante policière Danica à gagner dans le subtil jeu de séduction entre Victor et elle-même ?

Le protagoniste de Monte-Cristo 2 L’Île affirme :

« Le désir brouille notre perception de la réalité ».

Toutefois, vu que le même scénariste nous apport toujours des citations d’ouvrages et de poèmes intéressantes, nous voudrons conclure avec les paroles du poète persan Nizami, qui reprend l’histoire d’amour de Laylâ et Majnûn :

« …Ainsi passaient maintes mélodies entre les deux rossignols ivres de leur passion. Ceux qui les entendaient écoutaient avec ravissement, et les deux voix étaient si semblables qu’elles ressemblaient à un seul chant. Né de la douleur et du désir, leur chanson avait le pouvoir de briser le malheur du monde. »

Nizami Ganjavi, Laylâ et Majnûn (1192)

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